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ESSAI SUR UN RAPPORT ENTRE ART ET MODE
LES AVANTS-GARDES RUSSES

Encore aujourd’hui source d’inspiration de par leur esthétique mais surtout leur idéologie, les artistes de l’avant-garde russe ont sur faire leur place comme précurseurs de l’art à venir à l’avènement de la modernité. L’un des mouvements artistiques caractéristiques du groupe est le constructivisme, un art désirant s’affranchir des codes pour accéder à une utilité dans un cadre social de bouillonnement idéologique. Ainsi, la tenue This is NOT consent s’inspire de l’œuvre de l’un des artistes les plus retenus du mouvement, soit Battre les blancs avec le coin rouge d’El Lissitzky. Elle reprend en effet de nombreux éléments de l’œuvre originale, mais également du constructivisme plus global, soit comme une inspiration frontale ou plus imagée. 

Lissitzky, Lazar (El)

Клином красным бей белых! 
(Battre les blancs avec le coin rouge)

1919-1920 (Impression de 1966)

Lithographie sur papier

48,8 x 69,2 cm

Van Abbe Museum, Eindhoven (Pays-Bas)

Le constructivisme se définit d’abord comme étant un art engagé, servant les revendications d’un groupe, et la propagande d’une idéologie. À l’époque de sa popularisation, il défend la position prolétarienne en faveur de la révolution russe. En ce sens, la tenue s’inscrit dans un mouvement plus actuel de revendications concernant la notion de consentement, en lien avec le débat sociétal actuel autour de la culture du viol. 

Bien que de nature abstraite, les œuvres constructivistes présentent un sujet tout à fait concret, exprimant un message explicite destiné au spectateur. Les différents éléments picturaux sont positionnés selon un modèle qui sert donc cette transmission. Ainsi, This is NOT consent présente en son centre un losange rouge, symbolisant la femme et positionné stratégiquement au niveau du pubis. Pointé vers celui-ci, l’angle aigu d’un triangle noir, symbole phallique, vient en quelque sorte le transpercer, symbolisant la masculinité toxique et les idéologies sombres et dépassées concernant la notion de consentement. 

 

Le constructivisme se définit également par une géométrisation de l’espace et des formes composant celui-ci. On ressent en effet l’influence de l’esthétique de la machine, voulue comme le symbole du progrès et de l’avancement social à l’époque. Dans un cadre plus contemporain, cette géométrisation est pourtant tout-à-fait pertinente et représentative du futur, de par cette possibilité de rassemblement et de communication qu’offre l’univers virtuel, par nature géométrique et bidimensionnel. On remarque donc sur la tenue un ensemble de formes géométriques composant le motif. Aussi, la structure du vêtement en soi géométrise les volumes du corps, simplifiant les courbes en lignes plus droites. L’espace ainsi formé est conçu de manière architectonique, en adéquation avec les formes s’y retrouvant.

 

Le mouvement à l’étude se caractérise par un espace en aplat, ramené au maximum vers l’avant. Les formes présentes sont toutes en deux dimensions, et se situent sur un même plan. Face à ce concept, mais considérant la tridimensionnalité du corps habillé, la tenue présente une surface la plus plane possible, comme un assemblage de toiles qui seraient seulement recourbées pour compenser les volumes du corps. Dans le but d’accentuer cette impression bidimensionnelle, une crête suivant les latérales de la combinaison encadre celle-ci, se présentant face au spectateur, elle parfaitement plane. Finalement, l’ensemble des formes, de couleurs unies, sont directement imprimées sur le tissu formant l’ensemble, étant ainsi intégrées dans la surface.

Aussi, les œuvres constructivistes présentent généralement une rythmique et une composition forte, dont la tension dirige le regard du spectateur, lui permettant d’en assimiler le message. L’énorme triangle au centre, prépondérant dans la tenue, fait ainsi figure d’indicatif directionnel ; le regard se pose au haut, et est entraîné vers le bas, dans le but de suivre cette narration de la composition. Également, cette absence de symétrie dans le motif et cette potentialisation de la diagonale créent un dynamisme, un état de déséquilibre. L’ensemble de petites formes géométriques, tels les débris de l’impact entre le triangle et le losange, donnent l’impression de l’instantané d’un mouvement d’éclatement, moment de tension entre l’impact initial et la position finale des objets dans l’espace. 

 

Contribuant également à la force de l’impression sur le spectateur, cette polychromie noire, blanche et rouge, couleurs contrastantes de par leur nature, est un choix réfléchi de par la symbolique de chacune des couleurs dans le cadre de l’ensemble. D’abord le noir, sombre et éteint, représente le machisme et la domination masculine, positions prépondérantes d’une époque qui s’achève. Il entre ainsi en opposition avec le blanc ; la lumière émanant d’un futur ou la connaissance saura équilibrer les forces des parties en jeu. Finalement, le rouge, d’abord naturellement associé à la féminité et la sensualité, est également la couleur de la révolution, la couleur du sang. 

 

Finalement, un élément tout-à-fait caractéristique du constructivisme est l’utilisation du lettrage, considéré de même valeur que la forme, et destiné à être vu plutôt que lu. Dans un maximum d’économie optique, on contribue en effet au message de l’œuvre, rapprochant celle-ci des techniques de graphisme moderne. L’assemblage de trois courtes expressions, dans trois typographies différentes, forment ainsi le titre de la tenue : This is NOT consent, slogan très actuel associé au mouvement contre le blâme des victimes. Le positionnement de la phrase globale respecte le rythme accordé au reste des formes, et s’inscrit dans la compréhension du message global de l’œuvre. 

 

En bref, la tenue This is not consent, inspirée de l’œuvre constructiviste Battre les blancs avec le coin rouge de l’artiste de renom El Lissitzky, démontre la pertinence d’une démarche artistique se voulant engagée et prenant position dans les débats sociaux contemporains. Les artistes russes d’il y a un siècle ont en ce sens établi les bases de l’art ayant un impact sur la réalité, un art nouveau s’adressant au spectateur de par la force de sa composition et de sa symbolique. Ils ont possiblement été l’une des sources de ce que l’on connaît aujourd’hui comme le graphisme, prenant une place prépondérante dans le paysage artistique et sociétal moderne. 

 

BIBLIOGRAPHIE

ANTIDE, Édouard, « Quand la révolution russe bouleversait l’art », dans Avant-garde, 8 novembre 2017, En ligne < https://www.lavantgarde.fr/revolution-russe-bouleversait-lart/ >. Consulté le 20 octobre 2018. 

2018.10

Texte écrit dans le cadre du cours courants artistiques, mode et vêtements du baccalauréat en gestion et design de la mode de l'école supérieure de mode de Montréal. Le cours permet un rapprochement entre les différents mouvements de l'histoire de l'art, et l'évolution des tendances en mode qui leur sont rattachées. Ainsi, l'essai final est composé de la création d'une tenue inspirée directement d'une oeuvre au choix, puis de l'explication textuelle de cette inspiration, ainsi que de l'inscription du look dans le mouvement de l'histoire de l'art duquel l'oeuvre est tirée.

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